L’arrêt Baldus du 3 mai 2000 porte le nom d’un célèbre peintre et photographe, de son petit prénom Edouard. Des photos de ce dernier ont conduit à s’interroger sur l’existence d’une obligation d’information de l’acheteur sur la valeur réelle de la prestation.

L’acheteur est-il tenu de mentionner la grande valeur face à un vendeur qui n’en a pas idée ? Dans cet arrêt Baldus, la Cour de cassation répond NON.

Arrêt majeur étudié en L2 en Droit des obligations (droit des contrats), il vient poser le principe selon lequel l’acheteur n’est pas tenu à une obligation d’information quant à la valeur réelle de la prestation.

Cette décision centrale mérite d’être étudiée et analysée pour en tirer la portée

L’arrêt Baldus en résumé

Dans son arrêt Baldus (Civ. 1re 3 mai 2000), la Cour de cassation a répondu à la question suivante : le silence gardé par l’acheteur sur la valeur d’un bien est-il une réticence dolosive ?

La Cour de cassation répond NON : l’acheteur n’a pas à révéler la valeur de la prestation, aucune obligation ne pèse sur lui. 

De ce fait, le contrat ne peut pas être annulé sur le fondement de la réticence dolosive (mais, peut-être que d’autres voies auraient pu être envisagées ?).

Présentation de l’arrêt Baldus : la fiche d’arrêt    

Faire une fiche d’arrêt est tout un art : vous devez présenter la décision au lecteur pour la lui faire comprendre simplement, mais en langage juridique

Faites donc disparaître M. Z et Mme Y pour laisser place à des qualifications juridiques

Par-dessus tout, il faut être exhaustif, vous n’avez pas à mettre de côté certains aspects de la décision parce qu’ils sont trop compliqués à comprendre. 

Évitez aussi de recopier simplement les motifs de la CA ou pire la solution de la Cour de cassation, on le voit directement !

Que s’est-il passé dans l’arrêt Baldus ?

Une propriétaire met en vente des photographies d’un photographe de renom à un prix inférieur à leur valeur. L’acheteur en fait l’acquisition en 1986 et 1989 alors qu’il sait que le prix est dérisoire.

La vendeuse le découvre par la suite et assigne l’acheteur en nullité des ventes pour dol.

La procédure aboutissant à l’arrêt Baldus

La vendeuse a déposé une plainte avec constitution partie civile pour escroquerie. Une instruction a été ouverte puis clôturée par une ordonnance de non-lieu. Aucune mention de la décision de première instance n’est donnée. En appel, la décision a été rendue en faveur de la vendeuse. En effet, par un arrêt du 5 décembre 1997, la Cour d’appel de Versailles a condamné l’acheteur en paiement de la valeur réelle des photographies.

L’acheteur se pourvoit en cassation contre cette décision.

L’arrêt Baldus a été rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation*

*Saviez-vous que chaque chambre avait des spécialités ? Elles se répartissent les pouvoirs en fonction de la nature des litiges à trancher. Pour la première civile, on retrouve notamment le Droit des personnes et de la famille.

Quelles sont les arguments en présence ?

💡Ici, seuls ceux de la CA sont évoqués. Ces arguments sont appelés « motifs » pour une juridiction (lorsqu’il est indiqué « moyens », il s’agira de ceux du pourvoi).

La cour d’appel retient notamment que l’acheteur avait connaissance de la valeur réelle du bien, car il avait déjà vendu des photographies de Baldus. 

Or, il les a sciemment acquises à un prix dérisoire auprès de la vendeuse. De ce fait, il aurait manqué à l’obligation de contracter de bonne foi. 

De cette manière, il aurait surpris le consentement de la vendeuse, par sa réticence, la poussant à contracter alors qu’elle ne l’aurait pas fait dans ces conditions en connaissance de cause. 

Quelle est la problématique posée par l’arrêt Baldus ?

⚠️ Il ne faut pas confondre « problématique » avec « problème de droit » ! Ce dernier correspond à la question posée au juge. La problématique est celle qui va guider le raisonnement pour un commentaire d’arrêt. Elle est plus large que le premier.

Dans l’arrêt Baldus, le problème de droit est le suivant : l’acheteur est-il obligé d’informer le vendeur sur la valeur réelle de la prestation ?

La problématique de l’arrêt Baldus est la suivante : le silence gardé par l’acheteur sur la valeur réelle d’une prestation est-il une réticence dolosive, emportant la nullité du contrat ?

Que décident les juges dans l’arrêt Baldus ?

La Cour de cassation casse la décision d’appel sur le fondement de l’article 1116 du Code civil. 

Elle précise, dans cette décision, qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur. Ce dernier n’est pas l’auteur d’une réticence dolosive.

Du contexte à la portée de l’arrêt Baldus

L’analyse d’un arrêt impose d’en tirer le sens, la valeur et la portée. Pour y parvenir, il est nécessaire de partir des bases. Les mots-clés aident à la contextualiser !

Mieux comprendre l’arrêt Baldus : mots-clés et contexte

Pour bien situer l’arrêt dans son cours et guider le raisonnement, cette étape de mots-clés est importante.

  • Contrat, dol, réticence dolosive, obligation d’information, vice du consentement, nullité, valeur de la prestation, photographies, Baldus.

La conclusion d’un contrat est gouvernée par de grands principes. Aujourd’hui ils sont classés dans les « dispositions liminaires » aux articles 1102 à 1104 du Code civil. Il s’agit de la liberté contractuelle, de la force obligatoire des contrats et de l’obligation de bonne foi.

Ainsi, le contenu du contrat peut être librement négocié et déterminé (liberté contractuelle) sous réserve de la bonne foi.

C’est principalement ce qui était reproché ici à l’acheteur qui n’aurait pas été de bonne foi en dissimulant volontairement la valeur réelle des photographies. Pourtant, la Cour de cassation ne s’est pas rattachée à ce raisonnement.

💡Aujourd’hui, l’article 1169 du Code civil dispose qu’un contrat à titre onéreux (une vente répond à la définition de ce type de contrat, posée par l’article 1107) est nul si la contrepartie est dérisoire

Aurait-il pu être considéré, en l’espèce, que le prix payé était réellement dérisoire ? La cour d’appel a semblé le suggérer. La Cour de cassation n’a pas non plus suivi cette route. Mais, le Droit doit vous mener à ce type de questionnements. C’est tout l’intérêt de vos études et d’un commentaire d’arrêt : savoir faire des liens et s’interroger !

Dans notre espèce, c’est la qualification du silence qui a tout son intérêt. Peut-il constituer un dol, alors que les parties sont égales et de ce fait, libres de s’informer par elles-mêmes ? 

La Cour de cassation dans l’arrêt Baldus a considéré que non. Cela ne veut pas pour autant dire que le silence gardé ne constitue jamais une réticence dolosive

💡 En effet, dans une jurisprudence antérieure, la Cour de cassation avait retenu que les réticences revêtaient, dans les circonstances dans lesquelles elles sont intervenues, un caractère dolosif (Civ. 3e, 15 janv. 1971, n° 69-12.180). Ce qu’il faut en tirer, c’est que certaines circonstances peuvent donner au silence une dimension dolosive.

Pour aller plus loin avec l’arrêt Baldus : de la signification à la portée

Expliquons, analysons et critiquons ce qu’a dit la Cour et ce qu’elle a apporté au Droit. Croyez-nous, c’est colossal. 

La signification de l’arrêt Baldus

Le silence gardé sur la valeur de la prestation n’est pas constitutif d’une réticence dolosive.

Ainsi, lorsque vous achetez l’authentique diadème de Serdaigle à 10 euros, le vendeur pensant à une vieille relique sans valeur, vous n’avez pas à l’informer de sa grandeur. Les affaires sont les affaires, autant qu’elles soient bonnes, non ?

Selon la Cour de cassation, la Cour d’appel de Versailles a mal interprété le texte en estimant que l’acheteur, par sa réticence, aurait manqué à son obligation de bonne foi et conduit à surprendre le consentement de la vendeuse.

💡L’expression « La cour d’appel a violé (…) » signifie qu’elle a mal interprété le texte.

L’intérêt de l’arrêt Baldus

La liberté contractuelle suppose logiquement qu’il soit possible de conclure le contrat aux termes désirés par les cocontractants (art. 1102 C. civ.)… Y compris à un prix inférieur à la valeur du bien !

Par cette décision, la Cour de cassation met en évidence ce principe qui gouverne la formation du contrat. C’est la liberté contractuelle qui guide les parties. À elles de faire les démarches nécessaires pour conclure en toute connaissance. Est-ce à dire que le vendeur doit se renseigner ? La Cour ne l’affirme pas, mais il est possible de le conclure.

L’objectif étant de permettre à l’économie de tourner en offrant la possibilité de réaliser de bons deals !

Ceci étant dit, 2 limites à cette affirmation existent :

  • Le dol (vice du consentement) : il n’est pas possible de garder le silence, mentir ou réaliser des manœuvres pour surprendre le consentement du cocontractant (art. 1137 C. civ.).

💡Ici l’idée de surprendre suppose l’intention dolosive, la volonté de tromper son cocontractant pour l’inciter à conclure.

  • L’obligation précontractuelle d’information : celui qui détient une information déterminante pour l’autre, qui lui fait légitimement confiance ou l’ignore, doit la lui délivrer (art. 1112-1 C. civ.).

 Mais, dans un cas comme dans l’autre, la valeur de la prestation n’est pas concernée.

💡Avant la réforme du 10 février 2016, il n’existait pas d’obligation générale d’information prévue par la loi. Le législateur avait simplement prévu diverses obligations spécifiques à certaines matières (par exemple, art. L. 330-3 C. com.). 

La jurisprudence a donc cherché à la rattacher à des mécanismes plus généraux du Droit des contrats.

arret baldus

Revenons sur l’élément matériel du dol qu’est la réticence dolosive. Elle est aujourd’hui consacrée par l’article 1137 du Code civil depuis la réforme du 10 février 2016.

À la date de la décision, l’article 1116 du Code civil (ancien) n’envisageait pas la réticence dolosive. Le dol ne pouvait être constitué que par manœuvres

Certes, le silence peut en constituer une, mais la Cour de cassation a préféré considérer qu’en l’espèce il n’était pas dolosif. 

Ce n’est finalement qu’un moyen de réaliser un profit 🤑.

Pourtant, il faut noter que le 15 novembre 2000 (Civ. 3e 15 nov. 2000, n° 99-11.203), la Cour de cassation a admis la réticence dolosive d’un acquéreur qui a omis de révéler aux vendeurs la richesse des sous-sols du bien immobilier.

On ne peut donc pas affirmer que la Cour de cassation exclut la réticence dolosive de tout acheteur !

Mais alors, comment la Cour de cassation en est-elle arrivée à cette conclusion dans l’arrêt Baldus ? Aurait-elle pris en considération in concreto la possibilité pour la vendeuse de faire évaluer aisément la valeur de ses photographies ? 

Cet argument penche probablement sur la balance, bien que rien ne l’indique expressément. Alors que, dans la seconde espèce, il est moins évident d’évaluer le bien, des sous-sols étant par nature assez difficilement accessibles (il s’agissait d’un terrain).

En réalité c’est peut-être la nature de l’erreur dolosive qui conduit à des conclusions différentes

  • Dans l’affaire Baldus, l’erreur porte sur la valeur marchande (#fairedebonnesaffaires) ;
  • Alors que dans la décision du 15 novembre 2000, elle porte sur les qualités substantielles du bien

Ainsi, en excluant l’erreur dolosive sur la valeur, la Cour de cassation ferme la porte à d’innombrables recours, car, qui ne choisirait pas cette opportunité pour contester la vente d’un Code civil d’occasion devenu collector (donc valeur marchande 😏).

La portée de l’arrêt Baldus

La jurisprudence Baldus n’a pas été remise en cause par la Cour de cassation qui a statué dans le même sens par la suite (Civ. 3e 17 janv. 2007). La décision est donc entérinée par la jurisprudence postérieure !

De ce fait, c’est au vendeur de se renseigner correctement et d’être suffisamment vigilant quand il s’agit de la valeur monétaire de la prestation proposée.

La solution est désormais consacrée dans notre Droit positif à l’article 1112-1 et 1137 du Code civil : ne pas révéler à son cocontractant la valeur de la prestation ne constitue ni un dol ni un manquement à l’obligation précontractuelle d’information. Parfait pour continuer à faire de bonnes affaires !

Prêt à profiter de l’insouciance des L1 pour leur vendre des codes civils dépassés, à un prix excessif ? On vous voit 🧐, ce n’est pas très honnête, mais rien ne vous impose de révéler la valeur réelle de la prestation (même en tant que vendeur, oui !).

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Un commentaire

  1. Sara Malonga dit :

    Super ! C’est vraiment bien organisé .
    Je suis les vidéos sur YouTube . Ça me motive je commence ma première année à Panthéon Sorbonne et je vais brillé par la foi et un travail acharné . Que le Seigneur vous bénisse .

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