L’arrêt Chronopost de 1996, rendu par la Cour de cassation, est un arrêt majeur en droit des obligations (en droit des contrats et plus largement de responsabilité civile). Étudié en L2 Droit, il a restreint la portée des clauses limitatives de responsabilité.
Valables, oui, mais à condition de ne pas priver le contrat de sa substance.
Quel est l’intérêt de recourir à un service d’acheminement rapide, si en définitive, il n’est pas tenu de réaliser sa mission, puisqu’il ne sera pas tenu pour responsable en cas de retard ? C’est tout l’intérêt de cette décision, que de limiter la possibilité d’insérer de telles clauses si elles privent l’obligation essentielle de sa substance !
En tant qu’étudiants assidus, prenons un moment pour étudier cette décision et en établir la portée qui a ouvert la voie à une véritable saga !
L’arrêt Chronopost en résumé
Dans son arrêt Chronopost (Com. 22 oct. 1996), la Cour de cassation est intervenue pour répondre à la question suivante : une clause stipulée en contradiction avec l’engagement principal du contractant est-elle valable ?
La Cour de cassation a considéré que NON et a ouvert la voie à d’autres questions auxquelles la Cour de cassation a répondu dans la suite de la saga Chronopost et Faurecia.
On ne peut jamais priver le contrat de son obligation essentielle en limitant sa responsabilité.
Présentation de l’arrêt Chronopost : la fiche d’arrêt
La fiche d’arrêt qui introduit le commentaire d’arrêt (si on ajoute une accroche et l’annonce de plan) permet de présenter une décision.
Gardez en tête qu’il ne s’agit donc pas simplement de recopier le contenu de l’arrêt.
Les faits de l’arrêt Chronopost
Une société privée a confié des plis à un transporteur (la fameuse société Chronopost) qui s’est engagé à les livrer dans un délai de 24 h. Cette dernière a exécuté sa prestation avec du retard. La société créancière (la société privée) a subi un préjudice du fait de ce délai d’acheminement.
Elle demande alors réparation auprès du transporteur. Le transporteur lui oppose alors une clause qui limite sa responsabilité au montant du transport uniquement.
💡On qualifie juridiquement les faits. Les noms des parties doivent disparaître.
La procédure aboutissant à l’arrêt Chronopost
En première instance, la victime a probablement obtenu gain de cause, ce qui a conduit à un appel du transporteur, ayant infirmé le jugement.
La cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 30 juin, déboute la victime de sa demande. Cette dernière forme un pourvoi en cassation. La Cour casse et annule la décision de la Cour d’appel.
L’arrêt Chronopost a été rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation.
Les thèses en présence (arguments)
💡Ici, seuls ceux de la cour d’appel sont précisés. Ces arguments sont appelés « motifs » pour une juridiction (lorsqu’il est indiqué « moyens », il s’agira de ceux des parties).
La cour d’appel, pour motiver sa décision, indique que le transporteur n’a pas commis de faute lourde. Ainsi, il n’est pas possible d’exclure la clause limitative de responsabilité. Elle est valable.
La problématique posée par l’arrêt Chronopost
⚠️ Il ne faut pas confondre « problématique » avec « problème de droit » ! La problématique est celle qui va guider le raisonnement pour un commentaire d’arrêt. Elle est plus large que le problème de droit qui est simplement la question posée à la juridiction par les parties.
Le problème de droit en l’espèce est le suivant : le transporteur peut-il invoquer la clause limitative de responsabilité ?
La problématique qui se pose est la suivante : faut-il apporter la preuve d’une faute lourde pour exclure l’application d’une clause limitative de responsabilité ?
Qu’ont décidé les juges dans l’arrêt Chronopost ?
La Cour de cassation casse la décision d’appel sur le fondement de l’article 1131 du Code civil (dans sa rédaction de l’époque, bien sûr). Elle précise, dans cette décision, que la clause privait le contrat de son obligation essentielle, de sa cause*.
*C’est parce que le transporteur propose un service rapide qu’il y a été recouru. S’il peut se désengager de cette prestation, qui est le cœur même de son activité, sur le fondement d’une simple clause, le prix payé n’est plus justifié. Autant passer par des services plus lents et moins chers, non ? C’est un peu l’idée.
Livrer rapidement = obligation essentielle. Limiter la responsabilité en cas de manquement = contredit la portée de cet engagement.
Quant à la cause, on devine que la Cour de cassation s’y rattache, puisque le visa est celui de l’ancien article 1131 du Code civil. On y revient lorsqu’on analyse l’arrêt (v. plus bas), soyez patient.
En tant que spécialiste du transport rapide, le transporteur s’était engagé à livrer dans un délai déterminé. Or, en limitant sa responsabilité portant sur une obligation essentielle, il contredit la portée de son engagement.
De ce fait la clause est neutralisée : elle est réputée non écrite.
Du contexte à la portée de l’arrêt Chronopost
Pour bien assimiler une décision et pouvoir en tirer le sens, la valeur et la portée, il est nécessaire de partir des bases. Les mots-clés aident à la contextualiser. Pensez-y 🤓.
Mieux comprendre l’arrêt Chronopost : mots-clés et contexte
Pour bien situer l’arrêt dans son cours et guider le raisonnement, cette étape de mots-clés est importante.
- Contrat, responsabilité civile contractuelle, clause limitative de responsabilité, faute lourde, obligation essentielle, réputée non écrite, indemnisation, réparation, transport, Chronopost.
Ce qu’il faut rappeler, c’est que le transporteur peut engager sa responsabilité contractuelle s’il ne remplit pas son obligation. En effet, les parties étaient liées par un contrat. La responsabilité civile est donc forcément contractuelle (art. 1231-1 C. civ.).
Or, le contrat est constitué de clauses, et la liberté contractuelle (art. 1102 C. civ.) permet d’y insérer toutes les clauses que l’on souhaite du moment où elles :
- Ne dérogent ni à l’ordre public ni aux bonnes mœurs (art. 1162 C. civ.) ;
- Ne privent pas de sa substance l’obligation essentielle du contrat (art. 1170 C. civ., Coucou Chronopost 🫶) ;
- Ne créent pas de déséquilibre significatif #clauseabusive (art. 1171 C. civ.).
Donc, les clauses limitatives de responsabilité peuvent tout à fait être stipulées. Sous réserve, comme l’a posé l’arrêt Chronopost avant d’être repris par la réforme du Droit des contrats du 10 février 2016, de ne pas priver le contrat de son intérêt !
Par exemple, vous voilà heureux détenteur du médaillon de Serpentard. Hélas, vous avez besoin d’argent pour acheter tous ces satanés grimoires qu’imposent les études de Droit.
Mais, vous êtes malins, vous pensez savoir manier les règles à la perfection. Vous concluez une vente et sur le parchemin qui sert d’instrumentum au contrat, vous indiquez « en cas d’absence de délivrance du bien, le montant de la réparation est limité à 50 % du prix de la vente ». De quoi vous faire de l’argent gratuitement, pensez-vous !
Eh bien pas si vite. L’obligation essentielle du contrat de vente est la délivrance de la chose pour le vendeur (et le paiement du prix pour l’acheteur). Le cocontractant pourra donc neutraliser la clause (#petrificustotalus).
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Pour aller plus loin avec l’arrêt Chronopost : de la signification à la portée
Expliquons, analysons et critiquons ce qu’a dit la Cour et ce qu’elle a apporté au Droit. Croyez-nous, c’est colossal.
La signification de l’arrêt Chronopost
Vous savez, ce fameux « sens », il fait référence à ce qu’a dit le juge.
La clause limitative de responsabilité n’est pas valable si l’obligation essentielle du contrat est privée de sa substance.
La Cour de cassation estime que la cour d’appel de Rennes a mal interprété le texte en concluant que la clause était valable en l’absence de faute lourde.
💡L’expression « La cour d’appel a violé (…) » signifie qu’elle a mal interprété le texte.
L’intérêt de l’arrêt Chronopost
Il s’agit ici d’établir la valeur de la décision. D’analyser et de critiquer le raisonnement du juge.
Le raisonnement de la Cour de cassation se fonde sur l’article 1131 ancien du Code civil.
Partant, la privation de l’obligation essentielle de sa portée confine à une absence de cause*. Pourtant, chacune des parties avait exécuté ses prestations (l’une livrait la chose, en retard, certes ; et a payé le prix).
Mais, si la limitation est tellement importante que le cocontractant peut ne pas s’exécuter, sans pour autant risquer gros, le contrat est dépourvu d’intérêt, ce qui explique l’approche retenue par la Cour de cassation. Elle s’intéresse à l’approche subjective de la cause.
*L’article 1131 qui disposait avant la réforme du 10 février 2016 que « L’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet ». Son visa laisse penser que cette situation occasionne une absence de cause, puisque l’obligation souscrite par les cocontractants se retrouve dépourvue d’intérêt.
Aujourd’hui, la notion de cause* a disparu formellement de notre Droit des obligations (mais s’y retrouve implicitement #obligationsessentielles, but du contrat, toussa). Elle était, auparavant, citée dans l’article 1108 du Code civil. Désormais, l’article 1128 n’y fait plus expressément mention.
*💡 La cause revêtait deux dimensions :
- Objective → Quelle est la cause de l’obligation ? Ici, livrer la chose pour l’une et payer le prix pour l’autre. Cette conception est toujours identique pour les mêmes catégories de contrats (par exemple, en vente, livrer la chose contre payer le prix).
- Subjective → Pourquoi les parties s’engagent réciproquement (finalité) ? En l’espèce, pour la célérité du service. Elle diffère selon les parties au contrat.
Au-delà, la Cour de cassation, en neutralisant la clause, ouvre la voie à la question de l’engagement de la responsabilité contractuelle du transporteur.
La portée de l’arrêt Chronopost
La “saga Chronopost”
Cette décision a ouvert la voie à une jurisprudence abondante qui a été ponctuée de 7 actes (dont un spin-off aka Faurecia) ! Rien que ça.
Sortez vos meilleurs plaids, on va chiller devant la saga !
L’arrêt Chronopost du 22 octobre 1996 marque le point de départ. Il est suivi par un arrêt du même nom (“arrêt Chronopost 2”) en date du 9 juillet 2002.
C’est bien sympa de réputer une clause non écrite, mais on fait quoi après ?
On applique le Droit commun ou le Droit spécial du transport ? L’arrêt Cronopost 2 répond à cette épineuse question.
La Cour de cassation rend une solution assez étonnante, puisqu’en définitive elle conduit à la même indemnisation que si la clause demeurait applicable. Elle applique le Droit spécial du transport, qui prévoit le même montant de réparation que celui de la clause. Elle précise toutefois qu’en cas de faute lourde le plafond d’indemnisation pouvait être lui aussi neutralisé (décidément !).
Face à cet affront, de nouvelles interrogations surgissent ! Et si on tentait d’assimiler le manquement à une obligation essentielle à une faute lourde ? Malin, non ? Ils étaient sûrement comme ça « 😏 » à ce moment.
L’arrêt Chronopost 3 du 22 avril 2005 vient apporter quelques éclairages en définissant la faute lourde. Dommage, les protagonistes ont dû être déçus ☹️.
La Cour de cassation indique en effet qu’une faute est qualifiée de lourde lorsque les manquements sont d’une extrême gravité, confinant au dol. Et, de surcroît, ils doivent dénoter l’inaptitude du débiteur à exécuter sa mission contractuelle.
Ce qu’il faut comprendre c’est que le manquement à une obligation essentielle n’est pas nécessairement une faute lourde, mais peut le devenir s’il répond à cette définition. À lui seul il ne suffit pas à caractériser une faute lourde.
La suite des aventures est un peu moins croustillante, mais témoigne d’une application rigoureuse de sa jurisprudence par la Cour de cassation. Dans Chronopost 4 du 30 mai 2006, elle ne fait qu’appliquer la solution retenue en 1996. Jurisprudence constante, donc !
Le 5e et dernier acte de cette série Chronopost, en date du 13 juin 2006, confirme l’arrêt du 22 avril 2005.
Sauf que les scénaristes et réalisateurs ont vu l’engouement des spectateurs face à tant d’intrigue et de suspens. Ils ont décidé de poursuivre l’aventure avec un spin-off nommé Faurecia, composé de 2 actes.
Les arrêts “Faurecia”
L’arrêt Faurecia 1 du 13 février 2007 marque un véritable revirement de jurisprudence (oh le fou !) ! Les scénaristes ont voulu tenter des trucs.
La Cour de cassation a estimé que le seul manquement à une obligation essentielle suffit à caractériser la faute lourde ! Tout l’inverse de ce qu’on vient d’apprendre.
On clôt ce show avec Faurecia 2 du 29 juin 2010. La Cour est revenue sur ses pas renouant avec la jurisprudence Chronopost.
Elle reprend la solution antérieure de Chronopost 1 du 22 octobre 1996 en indiquant que seule est réputée non écrite la clause qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur.
Elle revient en arrière (vaut mieux rester sur le terrain qu’on connaît, à quoi bon faire du neuf avec du vieux. On ne sait pas ce qu’ils ont voulu nous pondre avec la saison 4 de You n’est-ce pas ?).
Le manquement à une obligation essentielle ne suffit pas à caractériser la faute lourde. Cette dernière doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur.
La solution de la réforme du droit des contrats : l’article 1170 du Code civil
Last but not least : la solution est désormais consacrée dans notre droit positif à l’article 1170 du Code civil. Au moins, le combat n’aura pas été vain.
Article 1170 du Code civil : “Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite.”
Vous voilà prêt à commenter l’intégralité de la saga Chronopost avec votre meilleur stylo !