Quand on est étudiant en 2e année de droit, la théorie de la loi-écran est incontournable. Pourtant, c’est un mécanisme avec lequel beaucoup d’étudiants ont des difficultés (c’est peut-être ton cas). Qu’est-ce qu’on entend vraiment derrière « loi-écran » ? Quel exemple peut-on donner ? Quels sont les arrêts importants en la matière ? 

Tout ce qu’il faut savoir pour que vous compreniez enfin ce qu’est la loi-écran. 

La loi-écran – Rappels préalables

La loi-écran, que l’on étudie en droit administratif, porte sur la thématique de ce que l’on appelle les “règlements”. A titre de rappel, un règlement est un acte de portée générale et impersonnelle, adopté par les autorités administratives. 

On distingue principalement 2 types de règlements : 

  • Les règlements autonomes
  • Les règlements d’application 

Il est important d’avoir en tête que ces 2 types de règlements n’ont pas le même but.

Les règlements autonomes

Les règlements autonomes sont les actes pris sur le fondement de l’article 37 de la Constitution.  

Pour bien comprendre ce qu’est un règlement autonome, il faut d’abord rappeler que la Constitution de 1958 effectue une répartition des compétences entre le pouvoir législatif (le Parlement) et le pouvoir exécutif (président de la République, Gouvernement, etc). Cette répartition de compétence est faite aux articles 34 et 37 de la Constitution. 

L’article 34 de la Constitution dresse une liste de matières dans lesquelles seul le Parlement peut agir.

Art. 34 de la Constitution : “La loi fixe les règles concernant :
– les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ; les sujétions imposées par la Défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens ;
– la nationalité, l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ;
– la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l’amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ;
– l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d’émission de la monnaie.
(…)”

Ainsi, l’article 34 de la Constitution prévoit que seule la loi peut créer des crimes et des délits.

L’article 37 de la Constitution précise que tout ce qui n’est pas du domaine de la loi est du domaine du règlement. 

Par conséquent, si la loi peut fixer les crimes et les délits, le règlement quant à lui peut fixer des contraventions (ex : un excès de vitesse). 

En effet, en droit pénal, il y a 3 types d’infractions pénales : le crime, le délit et la contravention.

Les règlements d’application

L’autre catégorie de règlement, ce sont les règlements d’application.  Les règlements d’application viennent assurer l’exécution de la loi. Concrètement, la loi va laisser au pouvoir réglementaire le soin de venir préciser son contenu en apportant des détails, des précisions… 

Exemple : une loi de 2021, votée par le Parlement, est ainsi formulée : « Il est interdit aux hommes de petite taille de vendre des petits objets. Les modalités d’application du présent article seront précisées par un décret. »  Ici, la loi votée par le Parlement renvoie à un règlement (un « décret ») le soin de venir préciser le contenu qu’elle a édicté.  Que va venir préciser le décret ?  Il va venir préciser la notion de « petite taille », « petits objets » Ainsi, un décret va adopté et va être ainsi formulé : « Est un homme de petite taille au sens de l’article…, tout homme dont la taille est inférieure à 1,60m. ». « Est un petit objet au sens de l’article…, tout objet dont la taille est inférieur à 0,50 m. » 

Ainsi, le décret est venu préciser la loi : c’est un règlement d’application.

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La théorie de la loi-écran : explication

Maintenant que les bases sont posées, qu’est-ce que la théorie de la loi-écran ?

La théorie de la loi-écran est issue d’un célèbre arrêt rendu par le Conseil d’Etat en 1936 : l’arrêt Arrighi. Dans cette décision, le Conseil d’Etat estime qu’il est incompétent pour annuler un règlement pris sur le fondement d’une loi, règlement qui serait contraire à la Constitution (CE 6 nov. 1936, Arrighi). La loi fait écran entre le règlement et la Constitution. 

Pour bien comprendre cette théorie, il faut partir d’un arrêt rendu en 1972 qui illustre bien le mécanisme (CE 1972, Conseil transitoire de la faculté de lettres de Paris) :

  • Dans cette affaire, il s’agissait d’une loi du 24 mai 1951 qui donnait compétence au ministre de l’Education nationale pour venir fixer les montants des droits d’inscription à l’université.  
  • Ici, la loi renvoie donc à un règlement d’application (adopté ici par un ministre) le soin de venir préciser les montants des frais d’inscription à la fac. Un arrêté ministériel (qui est donc ici un règlement d’application) va donc venir fixer le montant des droits d’inscription à la fac, sur le fondement de cette loi de 1951.  
  • L’arrêté ministériel a été attaqué par certaines personnes dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir.  Les requérants estimaient que cet arrêté ministériel était contraire au Préambule de la Constitution de 1946, d’après lequel l’enseignement public est gratuit.  
  • Par conséquent, si on annule l’arrêté (le règlement) pour contrariété à la Constitution, cela suppose qu’indirectement on va mettre de côté sa base juridique, en l’occurrence la loi de 1951. Or, le juge administratif ne peut pas mettre de côté une loi, seul le Conseil constitutionnel le peut.  

Dans cette hypothèse donc, la loi fait écran entre le règlement et la Constitution. Il n’est donc pas possible d’annuler le règlement.  

La théorie de la loi-écran : remise en cause de la théorie

Cependant, il faut préciser que cette conception de la loi-écran a été remise en cause par la possibilité qui a été reconnue au juge administratif de vérifier que la loi est conforme aux conventions internationales (= contrôle de conventionnalité). Or, les traités internationaux consacrent très souvent des droits similaires à ceux de la Constitution. 

Mais, surtout, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a permis de contourner cet obstacle de la loi-écran grâce à la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC).  

La QPC est une procédure qui permet à un justiciable, en cours d’instance, de considérer qu’une loi est contraire à l’un des droits et libertés protégés par la Constitution.  

Grâce à la QPC, une loi contraire à la Constitution pourra être supprimée de l’ordre juridique. Pour cela, il faut qu’un justiciable soulève la QPC au cours d’une instance. Puis, le juge judiciaire ou administratif devant laquelle la QPC est soulevée devra filtrer une 1re fois la QPC avant de la transmettre à la juridiction suprême (Cour de cassation ou CE). 

Ces juridictions suprêmes pourront ensuite transmettre la QPC au Conseil constitutionnel. 

Par conséquent, grâce à la QPC, la barrière de l’inconstitutionnalité de la loi pourra être évitée.  Alors, certes, depuis 2008, le juge administratif ne peut toujours pas se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi. 

En revanche, par son filtrage, le juge administratif va participer indirectement au contrôle. Il vérifiera notamment les conditions de recevabilité de la QPC. Le Conseil constitutionnel pourra alors abroger la disposition législative en cause s’il estime qu’elle est contraire à la Constitution. 

Pour aller plus loin

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Un Commentaire

  1. WAHDJOLBÉ chinsoubo dit :

    Leave a comment… Merci pour les explications

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