L’arrêt Sarran du 30 octobre 1998 porte sur la primauté de la Constitution dans l’ordre interne. Cette décision rendue par le Conseil d’Etat, étudiée en droit constitutionnel et en droit administratif, est fondamentale. Elle apporte plus de précisions par rapport à la mise en application de la théorie de la hiérarchie des normes développée par Hans Kelsen.

Pour saisir l’importance de cette décision, voici tout ce qu’il faut savoir, de sa fiche d’arrêt à sa portée !

L’arrêt Sarran en résumé

Dans cette décision le Conseil d’État intervient d’abord pour contrôler la légalité d’un acte administratif. Cependant, il va plus loin. L’arrêt Sarran affirme la primauté dans l’ordre interne, de la Constitution sur les conventions internationales, mais se cantonne au rôle qui est le sien.

Il n’interfère pas avec le rôle du Conseil constitutionnel, qui est seul compétent pour contrôler la conformité de dispositions à la Constitution.

Cet arrêt peut et doit être mis en perspective avec d’autres décisions.

À ce titre, l’arrêt Nicolo du Conseil d’État du 20 octobre 1989 a reconnu la primauté des conventions internationales sur la loi ouvrant la voie à un contrôle de conventionnalité.

Il a statué dans le même sens que la Cour de cassation dans son arrêt Jacques Vabre du 24 mai 1975.

L’arrêt Sarran précède l’arrêt Fraisse du 2 juin 2000 de la Cour de cassation qui a statué sur une thématique analogue et dans le même sens.

Présentation de l’arrêt Sarran : la fiche d’arrêt

Quoi de mieux pour comprendre la décision qu’une fiche d’arrêt ? Elle permet d’introduire l’arrêt en donnant au lecteur toutes les informations indispensables pour qu’il sache quel est le sujet et ce qui a conduit à la solution apportée.

Quels sont les faits de l’arrêt Sarran ?

Le point de départ est la signature des accords de Nouméa du 5 mai 1998. Une consultation (= référendum) est donc organisée afin que le peuple de Nouvelle-Calédonie approuve (ou rejette) les accords de Nouméa.

Pour l’organisation de cette consultation populaire (qui doit avoir lieu le 8 novembre 1998), un décret est adopté le 20 août 1998, sur le fondement de l’article 76 de la Constitution. Ce décret est ainsi venu fixer les mesures nécessaires à l’organisation de ce scrutin.

Des requérants domiciliés en Nouvelle-Calédonie, qui se trouvent être exclus du scrutin (car ils n’y vivent plus depuis le 6 novembre 1988 comme l’exige le décret) contestent la légalité du décret du 20 août 1998.

Quelle procédure a été suivie dans l’arrêt Sarran ?

  • C’est un recours pour excès de pouvoir destiné à contester la légalité d’un acte administratif.

Pour savoir s’il s’agit d’un recours pour excès de pouvoir ou d’un recours en plein contentieux, des indices peuvent être recherchés dans la décision (sauf lorsqu’il est précisé dans les « visas »). Quand il s’agit d’une demande en annulation, il s’agit probablement (mais pas exclusivement) d’un REP, d’autant plus lorsque des formules comme « il ressort des pièces du dossier » sont employées. À l’inverse, lorsque le recours est assorti d’une demande en responsabilité, il s’agit toujours d’un recours de plein contentieux (aussi appelé “recours de pleine juridiction”).

En fonction du type de recours la demande ne sera pas la même et le juge dispose d’une palette de pouvoirs plus ou moins étendue.
  • C’est un arrêt d’assemblée du Conseil d’État, ce qui signifie qu’il a une importance particulière.

En effet, il existe une hiérarchie des arrêts. En recherchant des indices, vous pourrez déterminer si l’arrêt est important voire constitue un revirement de jurisprudence.

Sous-section jugeant seule (1 chambre) : 3 juges, affaires qui ne posent pas de difficultés particulières ;
Sous-sections réunies (chambres réunies) : 9 juges, affaires qui posent des difficultés particulières ;
Section du contentieux : 15 juges, affaires difficiles ou qui remettent en cause une solution jurisprudentielle. C’est un indice quant à l’importance d’un arrêt ;
Assemblée du contentieux : 17 juges, importance remarquable d’une affaire.
⚠️ En référé, le juge statue seul.

Que demandent les requérants dans l’arrêt Sarran ?

Les requérants soutiennent tout d’abord que l’instauration d’un suffrage restreint est contraire à différentes dispositions issues de la Constitution et méconnaît les dispositions des traités internationaux ratifiés par la France.

À noter : “Sarran, Levacher et autres” correspond aux noms des requérants.

Ils demandent que l’article 76 de la Constitution soit écarté, car il méconnaîtrait le principe d’égalité* consacré par le Pacte sur les droits civils et politiques de New York et la Convention européenne des droits de l’Homme.

En effet, ils invoquent une forme de discrimination puisque certains ressortissants de Nouvelle-Calédonie se trouvent exclus du scrutin sans justification objective. Ils souhaitent l’annulation du décret du 20 août 1998.

*Le principe d’égalité signifie que la loi est la même pour tous. Donc des personnes placées dans des situations similaires doivent être traitées de manière similaire (art. 6 DDHC).

Quel est le problème juridique dans l’arrêt Sarran ?

Mais, finalement, quel est le problème soulevé dans l’arrêt Sarran ?

L’application d’une loi constitutionnelle incompatible avec un traité doit-elle être écartée ?

Que décident les juges dans l’arrêt Sarran ?

Dans l’arrêt Sarran, le Conseil d’État répond par la négative et se conforme aux conclusions de Madame Maugüé, commissaire du Gouvernement*.

*Il s’agit de la personne désignée pour intervenir à l’audience afin d’analyser le litige et de proposer une solution.

Le Conseil d’Etat rejette les pourvois des requérants, affirmant alors la primauté de la Constitution dans l’ordre interne. Les engagements internationaux ne priment pas la Constitution dans l’ordre interne.

La loi constitutionnelle peut être appliquée, car l’article 55 de la Constitution qui confère une suprématie aux traités ne s’applique pas dans l’ordre interne aux dispositions de nature constitutionnelle.

Du contexte à la portée de l’arrêt Sarran

Contextualiser une affaire permet de mieux saisir la portée de la décision.

Mieux comprendre l’arrêt Sarran : mots-clés et contexte

Ces mots-clés aident à construire la fiche d’arrêt et le commentaire d’arrêt. En effet, ce sont tous les thèmes qui gravitent autour du sujet et qui devront se retrouver, à un moment ou à un autre dans le devoir.

Traités internationaux, engagements internationaux, article 55 de la Constitution, Constitution, hiérarchie des normes, ordre interne, primauté, suprématie, Nouvelle-Calédonie, contrôle de légalité, excès de pouvoir.

Le contexte de l’arrêt Sarran s’inscrit dans le cadre d’un référendum qui devait être organisé afin de ratifier un accord signé préalablement à Nouméa. Le décret destiné à préciser les modalités de la consultation s’intéressait à la composition du corps électoral.

Or, en se conformant exactement à l’article 76 de la Constitution, le décret a conduit à rompre l’égalité entre les citoyens, ce qui contrevient à différents textes :

  • Articles 1 et 6 de la DDHC (droit interne) ;
  • Article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et article 1 du protocole n° 12 de la Convention européenne des droits de l’homme (convention internationale) ;
  • Article 3, article 14 ou encore article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (convention internationale)

En définitive, étant donné que le décret se contente d’appliquer l’article 76 de la Constitution, la question de la légalité s’est déplacée sur les dispositions mêmes du texte constitutionnel.

Pour aller plus loin avec l’arrêt Sarran : de la signification à la portée

Quelle est la signification de l’arrêt Sarran ?

La formulation employée par le Conseil d’Etat selon laquelle la portée du traité porte sur « l’ordre interne » sous-entend que la prééminence des engagements internationaux n’est pas remise en cause à l’égard du droit interne.

Mais, l’article 55 parle de suprématie des engagements internationaux sur les « lois » et n’évoque pas la Constitution.

L’arrêt Sarran : une lecture stricte de la Constitution

La décision du juge administratif fait suite à une lecture rigoureuse de la Constitution qui n’est pas nécessairement favorable aux traités internationaux.

Certains auteurs ont estimé que le Conseil d’État aurait dû statuer autrement et se fonder également sur l’alinéa 14 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 selon lequel la République française se conforme aux règles du droit public international. Mais, auparavant, le Conseil d’État avait précisé que cette disposition qui consacre la place de la coutume internationale ne la fait pas primer la loi en cas de conflits de normes (CE, 6 juin 1997, Aquarone).

Quelle est la portée de l’arrêt Sarran ?

Maintenant, évoquons ensemble la portée de l’arrêt Sarran.

La hiérarchie entre Constitution et traités internationaux est affirmée : la première prime les seconds en interne. Cela signifie également qu’en droit international, il n’est pas possible de se prévaloir d’une disposition interne d’ordre constitutionnelle

La Constitution est le texte fondamental d’un État. Il fixe ses règles élémentaires, l’organisation ainsi que les rapports des pouvoirs publics et les limites à ne pas franchir en matière de droits et libertés fondamentaux. En tant que telle, elle figure au sommet de la hiérarchie des normes et conditionne ainsi la validité de tous les actes dans l’ordre interne.

La théorie de la hiérarchie des normes a été développée par Hans Kelsen.

Elle impose que la norme inférieure soit toujours conforme à la norme supérieure. Or, la Constitution étant supposée être au sommet, la question s’est posée de savoir comment elle se positionnait face à des normes internationales (c’est-à-dire issues d’accords entre plusieurs États ou organisations internationales).

« La Constitution est par nature supérieure à toutes les normes juridiques dont elle détermine elle-même la valeur. »

B. Stirn, Les sources constitutionnelles du droit administratif, LGDJ, 2016, p. 26.

Les normes de l’Union européenne suivent le même sort (CE, 3 déc. 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique). Elles ne prévalent pas sur la Constitution dans l’ordre interne.

⚠️ À ne pas confondre avec l’obligation de transposition des directives affirmée d’abord par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004) qui a été suivi par le Conseil d’État (CE, 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine « ARCELOR »).

Le Conseil d’État n’a cependant pas entendu se faire juge de la conformité des traités ou des lois qui en découlent à la Constitution. Ce rôle demeure celui du Conseil constitutionnel.

Il affirme par la suite qu’il ne contrôle pas la conformité des lois à la Constitution (CE, 5 mars 1999, Rouquette et autres).

⚠️ À ne pas confondre avec le contrôle de conventionnalité des lois pour lequel le Conseil d’État s’est affirmé compétent dans l’arrêt Nicolo du 20 octobre 1989. Il s’agit de contrôler la conformité des lois aux dispositions des traités internationaux.

Le contrôle de constitutionnalité qu’il s’agisse des lois ou des traités impose l’intervention du Conseil constitutionnel (art. 61 et 61-1 de la Constitution). Il s’agit de contrôler la conformité des lois à la Constitution.

L’arrêt Sarran, généralement étudié du point de vue de la hiérarchie des normes (pyramide de Kelsen), a également apporté une interprétation des dispositions de la Constitution.

En effet, le juge administratif précise la portée de la Constitution à plusieurs égards :

  • L’article 60 : il viserait uniquement les référendums par lesquels le peuple exerce sa souveraineté.
  • L’article 76 : il aurait entendu déroger aux autres normes constitutionnelles relatives au droit au suffrage.

Pour aller plus loin…

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