Dans son arrêt Nicolo du 20 octobre 1989, le Conseil d’État affirme la suprématie des traités internationaux sur la loi. Il s’intéresse donc à la hiérarchie entre lois et traités à la différence des arrêts Fraisse et Sarran qui traitent des conflits entre normes constitutionnelles et traités.

L’arrêt Nicolo apporte une pierre à l’édifice de la pyramide de Kelsen (hiérarchie des normes) du point de vue de sa protection par le juge interne. Étudions-le, ensemble, pour saisir la portée de cette décision emblématique.

L’arrêt Nicolo en résumé

L’arrêt Nicolo a permis de clarifier la hiérarchie des textes dans l’ordre interne à l’égard des traités internationaux.

Cette décision du Conseil d’Etat vient s’affranchir de la tradition légicentriste (“la loi au centre de tous”). Avec cette décision, le Conseil d’État permet au juge administratif de réaliser un contrôle de conventionnalité, comme le pouvait déjà le juge judiciaire depuis l’arrêt Jacques Vabre du 24 mai 1975 rendu par la chambre mixte de la Cour de cassation.

Cet arrêt Nicolo complète l’arrêt Fraisse de la Cour de cassation du 2 juin 2000 et l’arrêt Sarran du Conseil d’État rendu le 30 octobre 1998 qui ont, quant à eux, affirmé la valeur supérieure de la Constitution dans l’ordre interne à l’égard des traités.

Présentation de l’arrêt Nicolo : la fiche d’arrêt

Cet arrêt Nicolo du Conseil d’État a une place importante au sein des études de droit.

Présentons-le avec limpidité au travers de sa fiche d’arrêt pour bien comprendre l’affaire avant de parler de la portée de l’arrêt Nicolo.

Il existe une hiérarchie des arrêts. En recherchant des indices, vous pourrez déterminer si l’arrêt est important voire constitue un revirement de jurisprudence, comme ce fut le cas en l’espèce.

Quels sont les faits de l’arrêt Nicolo ?

Les modalités des élections des représentants français à l’Assemblée des communautés européennes* ont été fixées par la loi du 7 juillet 1977. La régularité des opérations électorales qui se sont déroulées le 18 juin 1989 a été contestée par un électeur. Il invoquait également l’incompatibilité de la loi du 7 juillet 1977 avec le traité de Rome.

*Devenue le « Parlement européen » à la suite de l’Acte unique européen de 1986, entré en vigueur le 1er juillet 1987.

Il relance notamment le projet de marché intérieur.

Quelle est la procédure aboutissant à l’arrêt Nicolo ?

Le Conseil d’État a été saisi par une requête en annulation.

Pourquoi la procédure se déroule-t-elle directement devant le Conseil d’État ?

Non, ce n’est pas parce qu’on ne connaît pas les autres étapes. Le Conseil d’État est compétent pour statuer en premier et dernier ressort (décision insusceptible d’appel) en matière d’élection des représentants au Parlement européen (art. L. 311-3, 1° CJA).

C’est la raison pour laquelle il a été directement saisi.

Que soutient le requérant dans l’arrêt Nicolo ?

Le requérant soutient que la participation de citoyens français des départements et territoires d’outre-mer rend les élections irrégulières, car la loi du 7 juillet 1977 et en particulier le traité de Rome ne vise que le territoire européen de la France, soit la métropole.

Quel est le problème juridique dans l’arrêt Nicolo ?

Certes, dans l’arrêt Nicolo, la question directe posée par le requérant concernait l’applicabilité des dispositions de la loi à l’égard des citoyens des territoires et départements d’outre-mer.

Mais, surtout – et c’est vraiment l’intérêt de cette décision – le Conseil d’État devait répondre à une question de principe plus importante dans l’arrêt Nicolo :

Le juge administratif est-il compétent pour statuer sur la conformité d’une loi postérieure à un traité international ?

Que décident les juges dans l’arrêt Nicolo ?

Dans son arrêt Nicolo, le Conseil d’État rejette la requête. En effet, la loi du 7 juillet 1977 dispose que « le territoire de la République française forme une circonscription unique » (art. 4), ce qui englobe la métropole et les territoires ultra-marins (lorsque la disposition est combinée aux articles 2 et 72 de la Constitution).

Quant au traité de Rome (art. 227-1), il n’exclut nulle part les collectivités d’outre-mer bien qu’elles soient soumises à un régime particulier à certains égards. Ainsi, la loi postérieure au traité n’est pas incompatible avec ce dernier.

L’élection n’est pas viciée, car les citoyens français des départements et territoires d’outre-mer pouvaient tout à fait y participer.

Du contexte à la portée de l’arrêt Nicolo

Mieux comprendre l’arrêt Nicolo : mots-clés et contexte

Les mots-clés autour de l’arrêt Nicolo

Pour situer l’arrêt Nicolo dans votre cours et le commenter sous tous ses angles, il est important d’en tirer des mots-clés.

Primauté, conflits entre traités et lois, suprématie des traités internationaux sur les lois, lois postérieures aux traités, droit communautaire, contrôle de conventionnalité, ordre interne, article 55 de la Constitution, traité de Rome, office du juge administratif, élections européennes, DOM-TOM.

Le contexte de l’arrêt Nicolo

La position adoptée par le juge, selon laquelle les traités priment les lois, suit une logique déjà développée par d’autres juridictions.

1. Le Conseil d’État avait déjà auparavant conclu à la primauté d’un traité sur une loi qui lui était antérieure (CE, 15 mars 1972, Dame Veuve Sadok Ali).

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2. Mais quid entre un traité et une loi entrée en vigueur après lui ?

Tel était le cas d’espèce porté à la connaissance de la plus haute juridiction de l’ordre administratif.

Le Conseil d’État avait eu par le passé, l’opportunité de se prononcer sur une telle situation, mais il a relevé qu’un problème de constitutionnalité était soulevé ce qui échappe naturellement à sa compétence, bien que le législateur ait méconnu la hiérarchie des normes en adoptant une loi contraire à un traité antérieur (CE, 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoules de France).

Mais, se refusant toujours à opérer un contrôle de constitutionnalité (CE, 6 novembre 1936, Arrighi), le Conseil d’État passa. La Cour de cassation avait adopté une solution analogue (Cass. Civ. 22 décembre 1931).

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3. Dans l’arrêt Nicolo, la juridiction fait abstraction de la dimension constitutionnelle pour se cantonner à ouvrir la voie à un contrôle de conventionnalité.

Elle opère un revirement de sa jurisprudence en ce sens à l’égard de l’arrêt des Semoules.

En réalité, elle ne fait que suivre les pas déjà tracés par le Conseil constitutionnel qui se déclare incompétent pour contrôler la conventionnalité des lois (Cons. const., décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975*) contrairement à la Cour de cassation dans son arrêt Jacques Vabre du 24 mai 1975.

*Dans cette décision, le Conseil constitutionnel refuse de considérer les traités internationaux comme normes de référence fondant un contrôle de constitutionnalité des lois.

De plus, en 1986, le Conseil constitutionnel énonce que les organes de l’État doivent veiller à l’application des conventions internationales (en référence à l’article 55), dans le cadre de leurs compétences respectives (Cons. cons., décision n° 86-216 du 3 septembre 1986).

Il restait donc au Conseil d’État de sortir de son mutisme pour affirmer que, comme la Cour de cassation, il est compétent pour contrôler la conventionnalité des lois.

Pour aller plus loin avec l’arrêt Nicolo

Ce qu’il faut retenir de l’arrêt Nicolo

Sans réellement considérer les arguments du requérant qui n’avaient pas vraiment d’intérêt sur le plan juridique, l’arrêt Nicolo admet la suprématie des traités internationaux sur les lois, y compris en particulier les traités européens* et le droit dérivé (directive et règlements qui en découlent).

Le juge administratif ne fera application de la loi du 7 juillet 1977 qu’après avoir vérifié qu’elle était conforme au traité de Rome. Cela signifie (sens) que si elle n’y était pas conforme, elle aurait été écartée par le Conseil d’État. La suprématie des traités internationaux sur les lois ne fait aucun doute.

*On parle de « droit primaire », ce sont tous les traités qui fondent l’actuelle Union européenne (autrefois appelée les communautés européennes).

L’arrêt Nicolo, un revirement de jurisprudence

La décision Nicolo du Conseil d’État « marque une étape décisive dans la jurisprudence »* de la juridiction. Ce revirement de jurisprudence (par rapport à l’arrêt des Semoules du 1er mars 1968) était nécessaire pour combler un vide juridictionnel et éviter une dysharmonie entre l’office des juges judiciaires et administratifs.

*M. Long, P. Weil ; G. Braibant, P. Delvolvé, B. Genevois « Traités internationaux suprématie sur la loi », Les grands arrêts de la jurisprudence admin, Dalloz, 2021, com. 82, p. 613, § 1.

Le Conseil d’État était face à une question de principe relative à la hiérarchie des normes : devait-il contrôler la compatibilité entre la loi du 7 juillet 1977 et le traité de Rome, puisque la première n’était applicable que parce qu’elle est conforme à ce traité (Commissaire du Gouvernement Monsieur Frydman).

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Se fondant sur l’article 55 de la Constitution (dans ses « visas »), la juridiction a suivi les conclusions de Monsieur Frydman en acceptant de vérifier la compatibilité entre la loi et le traité et le cas échéant, d’écarter la première si elle n’était pas conforme aux engagements internationaux.

La position adoptée par le juge, selon laquelle les traités priment les lois est logique. Elle est conforme à l’article 55 de la Constitution qui dispose que « les traités (…) régulièrement ratifiés (…) ont une autorité supérieure à celle des lois ».

La jurisprudence Nicolo offre ainsi la possibilité de contester l’applicabilité de lois contraires à des engagements internationaux.

En faisant prévaloir le traité sur la loi qui lui est postérieure, la haute juridiction de l’ordre administratif impose un contrôle de conventionnalité.

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De nouvelles responsabilités pèsent désormais sur la juridiction chargée de contrôler la conventionnalité des lois et donc d’assurer une forme de protection du respect de la hiérarchie des normes*.

* La théorie de la hiérarchie des normes a été développée par Hans Kelsen. Elle impose que la norme inférieure soit toujours conforme à la norme supérieure. Il s’agissait ici de s’intéresser à un conflit entre une simple loi et un traité de dimension internationale. Ce dernier prime la loi qui, pour demeurer valable et applicable, doit lui être conforme. En l’espèce, la loi n’a pas été écartée, car elle était conforme au traité de Rome.

Cette démarche permet de sanctionner les violations de l’article 55 de la Constitution et d’uniformiser les positions entre Conseil d’État et Cour de cassation évitant ainsi au justiciable une rupture d’égalité de traitement.

Quelle est la portée de l’arrêt Nicolo ?

1. Par l’arrêt Nicolo, la haute juridiction abandonne la théorie de la loi-écran*, car il vérifie si les dispositions de la loi sont compatibles avec le traité, à défaut de quoi il les aurait écartées.

*Cette théorie aussi dénommée « théorie de l’écran législatif » suppose que la loi fasse « écran » avec le texte dont l’irrégularité est contestée. Se refusant d’opérer la constitutionnalité des lois, le Conseil d’État refusait également de contrôler la constitutionnalité des actes réglementaires qui en découlaient (CE, 6 novembre 1936, Arrighi).

En d’autres termes, le juge administratif refuse de censurer un acte administratif irrégulier pris sur le fondement d’une loi probablement inconstitutionnelle, car il ne contrôle pas la constitutionnalité des textes.

Or, en l’espèce, la juridiction confirme la suprématie du traité sur une loi postérieure à sa ratification, lorsqu’elle accepte l’éventualité d’écarter l’application de la loi qui y serait incompatible. La loi ne fait plus écran entre le Conseil d’État et son contrôle.

Pourquoi cette théorie de la loi-écran a-t-elle été développée ?

La loi étant l’expression de la volonté générale (art. 6 de la DDHC), le juge aurait étendu son office en la contrôlant. Il est supposé ne faire que l’application des lois (tradition légicentriste). Aussi, la séparation des autorités judiciaires et administratives faisait défense aux juges de s’immiscer dans l’exercice du pouvoir législatif et de suspendre les lois (art. 10 de la loi des 16 et 24 août 1790).

2. Confirmation de la primauté des traités internationaux sur les lois postérieures

Cette décision de principe qui affirme la supériorité des traités sur les lois dans l’ordre interne a conduit la jurisprudence à réanalyser le statut des traités dans l’ordre interne :

La valeur supérieure des traités vaut tant à l’égard des lois ordinaires que des lois organiques* à condition qu’elles ne reprennent pas les termes de la Constitution (CE, 6 avril 2016, Blanc et autres).

*La loi organique est une loi destinée à préciser des dispositions constitutionnelles.

  • Plus tard, la question s’est posée de savoir si le juge des référés est compétent pour contrôler la conventionnalité des lois. Le Conseil d’État est revenu sur ses positions (CE, 30 décembre 2002, ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement c. Carminati) en affirmant qu’un tel contrôle entre dans l’office du juge des référés (CE, 31 mai 2016, Mme Gonzalez-Gomez).

Pour aller plus loin…

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